A l’heure où la horde des confinés se secouait la dépression et le surpoid dans le périmètre devenu leur zone d’inconfort, j’avais pour ma part décidé de reprendre une activité physique d’extérieur qui ne comprenait pas un cabas ou le chien-chat. Pour la première fois depuis six semaines, j’enfourchais mon petit vélo qui se plie, mon précieux que j’avais laissé dans le couloir, plié comme à n’attendre que je le déplie pour se donner à la rue parisienne à qui nous savions manquer comme les moules aux frites d’une brocante lilloise annulée à la dernière minute, encore une fois.
J’avais eu la confirmation par trois sources bien informées, qui connaissaient quelqu’un à la préfecture ou à la Poste je ne sais plus, que l’activité physique dans la période de confinement ne posait aucune limitation aux amoureux de la pédale dont je faisais fièrement partie, et j’entendais bien moi aussi effectuer ma marche des fiertés et user un peu de mes pneus sur le bitume déserté par les automobilistes, ces salauds.
Alors que j’enfourchais l’engin, merveilleuse machine conçue par les perfides albionnais au siècle dernier, un affreux doute m’étreignis : les informations que j’avais reçu étaient-elles fiables ? Ou bien risquais-je l’amende de 135 euros, la punition, les gros yeux et la honte d’être pris en faute qui jetteraient sur moi l’opprobre dont rien ne pourrait jamais me laver. Comme je l’ai déjà dit, mon éducation catholico-catholique me rend très sensible à la honte, la culpabilité, etc. Mais là je sentais bien que j’étais couvert, j’avais même vu une capture écran d’un tweet qui annonçait que « c’était ok vous pouvez y aller, le vélo c’est une activité physique les copains » !
Comme à son habitude, il se déplia en moins de vingt secondes, quelle merveille ! et je l’enfourchais comme au premier jour de notre relation. Nous n’avions rien perdu de cette alchimie qui fit notre légende à la fin de l’An Deux du calendrier de St Macron, et ces quelques semaines loin l’un de l’autre s’effacèrent comme un mauvais rêve dès le premier coup de pédale. J’attaquais gaillardement une montée qui me menait jusqu’à la rue Trudaine, un de ces très jolis coins du neuvième (parmi tant d’autres) qui offrait une belle ligne droite ombragée par de centenaires peupliers avec quelques pavés à même de réveiller mes mini-roues et les muscles endormis de votre serviteur. J’étais le seul cycliste de ce matin là et seuls quelques joggers (mais ne dit-on pas runners maintenant ? Je m’y perds, le monde va trop vite) faisaient le job de l’activité physique, concentrés sur l’idée que « non ils n’allaient putain pas prendre du poids pendant ce putain de confinement, putain mais non quoi ! » ; enfin, vous avez saisi l’idée je pense.
Un léger bruit se faisait entendre à chaque tour de roues, comme un frottement régulier rythmé par la folle énergie de mes mollets revenus à la vie, j’étais heureux certes mais toujours prudent et quelque peu inquiet. Je pensais sur le coup à une crevaison (ma hantise), et je m’arretais. A peine parti et me voilà stoppé, le sort m’avait-il dans son oeil torve pour me faire payer un péché quelconque dont la date de péremption n’était pas dépassé ? Dieux, que vous a fait votre humble serviteur ?
Après vérification rapide et experte, du gars qui a souvent crevé dans sa vie d’usager à deux roues, c’était une fausse alerte. Je repartis le pneu gonflé de contentement.
Un tour de la plus belle des pistes cyclables au nord de la Loire plus tard, je tombais sur mon ami le plus doué des ses pinceaux en escapade pour un réapprovisionnement de surgelés chez celui des Picard qui ne s’appelle pas Jean-Luc. Le temps d’une photo, d’un échange bien rigolard (on en profite quand on se voit peu) et je repartis de plus belle. A fond à fond à fond, c’est que comme ça que l’on peut devenir le Fangio des déconsignés, si tant est que l’italien ait jamais été de la pédale et que je ne mélange pas tous les mots que je connaisse.
Le problème avec l’excitation, à l’âge de Morrison + vingt-trois, celui où le whisky ne rime plus avec coca depuis longtemps, c’est que ça monte un peu vite à la tête. Et le voile rouge, celui de Maverick à Mach 4, arrive facilement, trop facilement… J’en fis le triste expérience pour clôturer cette épopée dont on ne manquera pas de tirer, euh de tirer… pas grand chose je le crains.
Alors que j’arrivais devant le siège de la R.PL.F., un Talking Dead surgit de nulle part (enfin de la Porte La Chapelle sans doute) en agitant les bras qu’il avait couvert d’oripeaux bien mais alors bien pourris, en maugréant un truc que je ne saisis pas vraiment, occupé que j’étais à l’éviter d’un coup de guidon que j’espérais vigoureux. Mais en rapport à l’âge duquel je suis très heureux d’être arrivé équipé de toutes les pièces d’origine dont la Mère Nature m’avait généreusement doté, la roue du bicycle se prit dans le rebord du trottoir, le cadre Vert Anglais me passa par dessus la tête et je me retrouvais étalé comme un pauvre ère sur le goudron parisien.
La honte sur moi, la hchourma qui allait me poursuivre sur des générations et des générations.
Onze heures du matin, début mai 2020, allongé, haletant,… la cloche me hurlait dessus, quand il ne ricanait pas, tout content de lui : « Les petites roues, ben ouais c’est nul, les petites roues ! » Et là, je le comprenais le bougre. Si bien que je lui en aurais bien donné une à bouffer tiens !
Mais toujours en totale cohérence avec l’âge du capitaine, je remontais dans mes quartiers et me recomposais un aspect humain après avoir serré dans mes bras chacune des habitantes de La Châtellerie (le Chien-Chat en dernier bien sur).
Puis je commandais un casque sur internet.