Les jurées membres de la Châtellerie me firent comprendre ce jour-là que j’étais incompétent, impénitent et impardonnable quant à la cuisson de l’œuf mollet et pourtant ce n’est pas compliqué on te l’a dit que c’est six minutes.

par Rapaport, l’observateur d’un monde qui ne tourne plus rond
Si seulement c’était aussi simple.
J’ai un rapport à la cuisine qui me replonge, et c’est étonnant pour ceux qui me connaissent, aux primes années de blond chérubin des premiers et seuls divorcés de la Comté des années 1970 (selon moi) à mi-temps nourri par une grand-mère dont la cuisine visait à contenter l’ouvrier du bâtiment qui sommeillait en moi (sans jamais se réveiller, c’est aujourd’hui un fait certain). Roborative, c’est le mot qui convient. Ce qui n’a aucun rapport avec les aventures de Goldorak dont je me gavais aussi à l’époque !
D’où le régime, c’est drôle vous allez voir, que je pratiquai les années qui suivirent composé majoritairement de nouilles, appelées aujourd’hui pâtes ou la pasta, associées librement de sauces, la salsa j’imagine, de mon invention ou empruntées à l’un de mes amis gastronogrunge.
De la Grande Ville de la Comté à sous les toits de mon Paname, je me suis régalé de nouilles sauce américaine (le délicieux mélange du ketchup et de la mayonnaise), à l’indienne (l’incomparable œuf et son lait-curry) ou à la carbonarien façon resto U (pas de crème, pas de lard et surtout pas de jaune d’œuf mais du gruyère à volonté). C’est vous dire si j’étais fin gourmet. J’arrosais chacun de ces festins de verres de Coca sucré autant que possible et, vous n’allez pas le croire, j’arborais une finesse d’allure toute médiciennes (aucun rapport avec le regretté Jacques Médecin, ce sont les Médicis dont il s’agit ici que j’imaginais maigres Florentins, c’est comme ça).
Cette chronique lu pour vous par Gauthier de la Touche, sociétaire de la Comédie de la Vie Française
Le piège se met en place
Un mariage et deux merveilles plus tard, j’avais fort heureusement changé de régime pour me convertir à celui dont se targuent les éleveurs de princesses chevronnés et accomplis : de la nourriture saine et équilibrée, cuisinée avec amour. Je pris enfin l’étoffe des héros pour les filles de leur papounet, une étoffe qui pesait quand même vingt kilos… Quand on aime, on ne les compte plus ces suppléments d’âme qui viennent avec les plats mijotés.
Fier mâle bêta d’obédience feignasse ascendant estomac, je m’étais laissé nourrir ces premières années de bonheur conjugal, qui par Celle que j’accompagne, qui par la famille de Celle que j’accompagne, qui par les amies de Celle que j’accompagne. Autant dire que j’étais comme un coq qui s’empâtait tout peinardement. Ma vie a basculé alors que je frisais l’absolu félicité patriarcale.

par Gilles « Ruquier » Rapaport
Au milieu de la première décennie de ce siècle qui n’avait rien demandé, apparurent à la télévision des personnages dont la fourberie n’avait d’égal que la bonhomie que je qualifierais aujourd’hui d’attrape-bobos sophistiqués. Des Cyril Lignac, Fred Chesneau et Laurent Mariotte firent leur apparition sur le petit écran sortis d’on ne sait où, sans doute pas des amours de Maité et de Raymond Oliver mais c’était tout comme. Ces gars, pilotés en sous-mains par ceux dont on doit taire le nom, se sont ligués pour me tendre un piège afin de me montrer le chemin de la cuisine. Avec eux, je me suis senti pousser un tablier et ils m’ont collé aux fourneaux sans signe de résistance de ma part. Le Nudge dans toute sa beauté, j’ai laissé mon canapé pour la planche à découper.
Le marketing culinaire me séduisit tant que, un Noël passé, on m’offrit une cocotte pour mitonner de gentils petits plats pour toute ma famille.
C’est vous dire si j’étais refait.
Depuis, tel un Etchebest sans le talent mais avec des cheveux et la même facilité à m’enflammer pour défendre ma cuisine, on me cantina aux fourneaux. Les couteaux de mon père (on dirait du Pagnol !) émincent, coupent, tranchent, lèvent… Eux qui n’avaient connu que la viande rouge sont régulièrement au contact de légumes.
C’est le vrai signe d’un changement d’époque, le passé est révolu. Ma France d’avant, celle des nouilles donc, a bien disparu. Noyée sous les épluchures des légumes oubliés, des patates douces et autres navets.
Quant aux œufs mollets, il faut savoir abandonner la partie. Aujourd’hui, je me présente comme le Roi de l’Oeuf dur.