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Le souffle de la liberté, l’absence de contrainte, les ailes aux pieds, Kerouac… C’est tout ça l’autostop. Enfin, pour moi, c’est surtout un ramassis de billevesées : JE NE SUIS PAS UN HIPPIE !
Si j’ai pratiqué cette activité intensément pendant plusieurs années, c’était surtout par manque des moyens financiers nécessaires à la mobilité du jeune homme en mal d’ailleurs que j’étais en ce temps-là.

La comté, printemps 91
Les rares fois où je me déplace en voiture à propulsion carbonée (pour sauver la planète je n’ai pas personnellement de véhicule et je profite de ceux d’amis qui n’ont pas les mêmes exigences morales, ils manquent de la rectitude écologique idoine, et c’est donc sur eux que pèsera la culpabilité de la destruction de la Terre Mère, s’il faut les dénoncer à Ceux qui nous succèderont je le ferai parce que je vis selon mes convictions), je ne vois jamais l’ombre d’un pouce levé sur le bord des routes de nos provinces qu’il faut maintenant appeler « territoires » à ce que j’ai compris. Si c’est ce que les provinciaux désirent, ainsi soit-il.
Les autostoppeurs ont disparu et s’ils n’ont pas tous été enlevés par des tueurs en série, c’est sans doute que tout le monde a maintenant de quoi voyager autrement, je suis bien content pour eux.
L’uber-autostoppeur existe
De mon côté, alors que j’avais seize ans et une envie de m’échapper aussi pressante que celle qui me projette aux toilettes à 4 heures du matin ces dernières nuits, si je voulais aller à la grande ville de la Comté donc, c’était vite devenu pour moi le moyen de transport habituel. J’y excellais.
D’aucuns diront, des fâcheux, des jaloux, des maussades, des pisse-froids, je vous laisse le choix, que ma bonne mine d’ado blond aux deux yeux bleus, dont certains et certaines disaient qu’on y voyait la mer, explique le succès dont je bénéficiais lors de mes années de pratique autostoppesque. Je m’insurge, m’élève contre et m’explique.
Si je réussissais si bien, c’est que je suis né pour l’autostop, et ma jolie tournure d’alors n’est pas en cause, je dégageais une telle aura que, à cinq cent mètres et cent dix kilomètres heure, le conducteur ne pouvait manquer de se dire : « C‘est lui, enfin je le rencontre, ce n’est pas une légende, le voilà : l’Uber-Autostoppeur. »

Aventure Rapaport, 2022
Vous vous dites que je suis parti bien loin et que mon lait d’avoine a dû tourner ou que mon stock de Cacolac est vraiment périmé. Non pas et je continue mon implacable démonstration.
L’autostop est une activité libérale de nature commerciale qui implique la participation de deux individus (ce qui suit exclu ce que l’on appelle le syndrome du Bon Samaritain qui ne voudrait que rendre service auquel je ne crois plus et que j’ai rangé à sa place dans la cave dans le coin des Rêves perdus à côté du Père Noël et du trophée de la Ligue des champions du PSG) qui échangent des services : le conducteur fournit un véhicule se déplaçant dans une certaine direction pour transporter le propriétaire du pouce en l’air, et celui-ci est en charge de la conversation pour éviter que le susdit conducteur ne s’assoupisse et ne fiche sa caisse, selon les lois immuables de la cinétique, qui dans un platane, qui dans un ravin, qui dans un platane au fond d’un ravin s’il avait de la chance, pour peu qu’il ait aussi le sens de l’absurde.
Le sens du service et toujours le pouce levé
Laissez-moi vous dire que je n’ai jamais déçu dans cette pratique et je suis aujourd’hui persuadé, après des années d’études à l’université de ma Vie, que cela se sentait rien qu’à m’apercevoir au loin debout sur les bords d’une route de la Comté, à la sortie du périph’ Porte de St-Cloud ou sur l’Highway 10 qui me conduisait de Houston à La Nouvelle-Orléans.
Cela ne vous étonnera pas, si vous êtes toujours là, j’étais le Petit Prince de la Conversation et avec moi il n’y avait pas un silence qui s’éternisait et sûrement pas une paupière qui s’abaissait sous ma surveillance. Déjà, j’aimais à raconter ma vie à des étrangers et j’avais développé mon art au fil des années. Aussitôt installé, je déclenchais un feu roulant de questions pour leur donner la parole, récoltant au passage de bonnes histoires, avant que de dérouler le fil de Ma Vie Mon Oeuvre qui, même si je n’étais qu’un jeune bourgeon nappé d’acné, nous tenait jusqu’à ma destination. Toujours.
Je dois à mon flot de paroles, d’anecdotes personnelles plus ou moins voir totalement pas vraies des milliers de kilomètres… Un carburant à moindres frais dont j’ai usé et abusé en ces temps-là.

Cute Rapaport, 2022
Aujourd’hui cette pratique a disparu, comme le hula-hoop et le fait de tenir la porte aux dames. Elle a été remplacée par des applications qui surfent sur l’imagerie du pouce levé mais où le service rendu est bien facturé. Les quelques fois où je m’y suis plié – la ligne de train vers la Comté ne fonctionne pas très bien –, je n’ai pas décroché un mot du voyage.
Quand je paie, je ne raconte pas !
Un pouce bien levé pour le copain que j’ai connu avec sa pancarte et un Rapaport aux crayons en grandes formes ! Bisous.
On a pas tellement changé depuis cette époque. Mais les autres, oui !