Longtemps avant le Grand Confinement, au siècle dernier, j’ai passé une grande partie de ma paisible adolescence dans une bourgade de province que n’aurait pas renié Chabrol, le nez collé sur l’écran du poste noir et blanc puis couleurs familial, à ingurgiter gloutonnement et sans discernement tout ce qui pouvait passer devant mes yeux d’un bleu que mes proches qualifiaient de plaisant.
J’étais amoureux de ma télévision, très tôt j’avais une télécommande et ne venez pas me chercher quand je suis devant San Ku Kai, sinon je vous mords au sang. Mon frère avait le sport, les filles et la vie ; moi j’avais le poste TV, le monde tournait bien rond.
Puis arriva Canal, les magnétoscopes et l’objet du Diable, la cassette vidéo. C’était l’époque bénie de la pop culture dont on ne savait pas encore qu’elle était pop. Parce qu’il faut vous avouer que je n’étais pas très regardant sur la qualité. Une fois, le premier lecteur (V2000 puis rapidement VHS, early adopter depuis le début de la vie) entré chez nous, je l’ai nourri de tout ce qui me tombait sous la main. Les premiers vidéo-clubs ouvraient, le début d’une histoire commune qui allait durer.
J’étais spectateur, peu critique comme je l’ai dit, et plutôt content de moi. De temps en temps, je regardais un film français. Les auteurs pas trop, plutôt la grosse cavalerie rigolarde qu’on se repassait en boucle en ricanant, en bande d’ados hilare ce qui est le propre de la bande d’ados. Nous avions un splendide sens de l’humour, nous n’étions pas si nuls (désolé).
Mais je regardais surtout des films US, plein. Tout le temps. Comme la plupart des jeunes gars de mon entourage, nous étions tous des américains perdus dans les Terres du Milieu. On s’appelait Hervé, Didier ou Thierry alors qu’on avait tout d’un Mike, Jerry, voire d’un Rick pour les plus rebelles. Alors on passait le temps le regard perdu dans les bobines de nos VHS à mater la vie de l’autre côté du miroir, qu’elle était vachement mieux que notre triste existence au poulet et au vinaigre.
J’étais, je crois, l’un des champions toute catégorie dans cette pratique qu’on pourrait qualifier de visionnage compulsif à des fins récréatives teintée d’une certaine forme de fuite en avant toute dans les rêves d’un paradis qui n’était pas perdu pour tout le monde apparemment ; ce qui cachait peut-être un mal-être qui s’expliquera par a) une vilaine acné qui ne me laisserait tranquille que très tard, b) un penchant certain pour l’introspection méditative, c) l’existence même des années 80.
En résumé, j’avais inventé le Binge Watching* avant Netflix ( vingt-ans plus tard, j’inventerai le concept du « bobo réac’» mais c’est une autre histoire). Un chiffre un seul pour le prouver : 26. C’est le nombre de visionnage de la cassette VHS de Highlander que j’ai à mon crédit. Oui, c’est bien moi, je le révèle au monde aujourd’hui. Pour les plus jeunes qui me lisent, et je les en remercie, Highlander est une panouille fantastique réalisé par Russel Mulcahy, honnête artisan australien qui fit le bonheur des vidéo clubs. Son Highlander, c’est Outlander mais sans les scènes coquines façon Émotions Libertines (tous les dimanches soir sur M6) avec quelques effets spéciaux qui avaient pris un sacré coup de vieux six mois après la sortie en salle (1986 donc). Une horreur aujourd’hui, ne vous abimez pas les yeux avec, c’est un ordre de la faculté de cinéma Paris South Pigalle.
J’avais pour ce film une passion qui aujourd’hui me fait douter de ma santé mentale de l’époque. Comment l’expliquer ? J’ai une théorie qui implique un romantisme fin de siècle baigné d’une langueur toute provinciale, exacerbée par un goût prononcé pour les films avec Christopher Lambert dont on peut se demander à l’aune de l’histoire du cinéma : Mais pourquoi ?
* Regarder en rafale, plutôt une série alors que là je parle d'un seul et même film, mais qu'importe ?