Ou comment je me suis décarboné
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Depuis la fin de mon adolescence acnéique qui a ouvert la porte à mes belles années de jeune adulte acnéique, j’ai eu la chance d’avoir accès à un scooter.
Jusqu’à ce que Ceux qui me succéderont m’expliquent, et que je comprenne, que ce n’était pas une bonne idée.
J’ai 18 ans. Grâce à la générosité jamais démentie de mes bienveillants éleveurs, un Honda Lead 80 fait partie très tôt de mon cheptel. Je sillonne les rues et environs de la sous-préfecture qui me voit passer les premières étapes d’une vie que j’espère glorieuse et panachée de blanc comme Henri sur son cheval alors qu’elle ne sera sans doute qu’une vie.

Prospectus, circa 1983
Ce premier deux-roues avait un aspect futuriste pour l’époque, mon petit vaisseau personnel qui me transportait dans tous les coins du canton pour vaquer à mes affaires de jeune bachelier, désœuvré mais tellement occupé à en profiter. Le vent de liberté aurait pu souffler sur ma blonde crinière si je n’avais pas porté très tôt un casque de protection en rapport au statut permanent de la mort dont j’avais déjà pu apprécier la véracité scientifique dans mon jeune entourage.
Où je roule des mécaniques
Ce scooter était mon iPhone à moi, je ne pouvais le lâcher, et, sans la sagesse de mes éleveurs, mais aussi sans doute de la loi de la gravité et du peu de force de ma composition d’humain à peine nubile, je l’aurais couché dans mon lit chaque soir pour le regarder, caresser son réservoir tellement beau, jouer avec ses poignées, serrer ses freins, ajuster son rétroviseur. Les plaisirs discrets et inavouables que connaissent tous les motards chaque jour et que je pratiquais pour la première fois.
Quelques années plus tard, je découvrais les recoins de l’Ouest parisien au guidon d’une Vespa. Livreur de plats chauds – les premières pierres de la pyramide DelivUber étaient posées grâce au sympathique duo formé par Patrick et Régis que je salue au passage – je présentais ma bonne mine aux portes des boîtes de production et autres tours de la Défense, chevauchant une petite Italienne de 50cc qui se prénommait Vespa, nom de famille Piaggio. Cette rencontre marqua le début d’une belle relation qui allait durer plus de vingt ans. À l’époque, je mangeais chaque jour des kilomètres de bitume pour servir des déjeuners aux jeunes cadres dont je ne ferais jamais partie, n’accédant que tardivement dans l’âge du capitaine au statut magique et tellement merveilleux de « cadre », le Graal pour l’amateur d’ascenseur social que je suis.

Photo by Galina Bas
Deux Vespa plus tard, voici enfin le Cadre qu’on avait rêvé que je fusse, une maturité certaine peuplait le menton carré dont certains disaient qu’il me donnait un aspect affirmé (une barbe blanche m’habillait la façade). La vie à Vespa me plaisait tellement. Nous passions de si beaux moments ensemble et je me voyais Mastroianni tellement souvent que certains soirs on me prêtait un accent romain. Nous parcourions, mon Italienne et moi, notre Paname dans tous les sens, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il grêle, rien ne nous arrêtait, ce qui est une bonne chose quand on connaît le système de freinage d’un PX 125. Dans tous les états je chevauchais mon petit bourdon, qui répondait toujours présent à l’appel de mes aventures parisiennes. Je rêvais qu’il m’accompagne dans le grand feu de joie de mes funérailles viking.
Il était temps que cela finisse.
C’est ici qu’interviennent – quelle surprise ! –, Ceux qui nous succéderont.
Après des mois de discussions, d’arguties et autres exposés dont les tenants aboutirent comme il se doit à me faire rendre gorge, je me soumettais de bonne guerre à leurs armes de destruction massive (ils parlent, mais qu’est ce qu’ils parlent !) et lâchai mon Vespa adoré pour me décarboner et gagner ainsi un maximum de points à la grande roue du Karma écologique qui m’enverrait au Paradis vert rejoindre les meilleurs d’entre nous.
Je ne dis pas que je n’ai pas chialé en le voyant partir dans un petit van, couché sur le côté. Son phare si rond me fixant, il me disait combien mon amour était volatile, et combien ma bataille ne valait pas d’être contée.
Parce que, soyons honnêtes, si j’ai lâché l’ombre pour la proie, ce n’est pas au discours cintré asséné depuis des années sur ma tête casquée que je dois rendre grâce. Le Dieu des écolos ne m’a toujours pas réellement visité. Si j’ai quitté Vespa, cette belle Italienne… c’est parce que j’ai craqué pour Brompton, un petit lutin bicycle anglais plein de malice et d’ingéniosité.
Mais qui suis-je pour résister à l’appel de la petite reine et de son amour, fut-elle britannique ?