Où l’on retrouve notre héros, véritable Shéhérazade des temps modernes, forcé à raconter des histoires. Bon gré, mal gré.
Mes amis ont un problème d’addiction à la bière. Oui, je sais, c’est terrible.
Enfin, pour être précis, ils ont un problème d’addiction à moi buvant une bière.
Non, si je veux vraiment être précis, ils sont « accros » à votre serviteur avec une pinte et demie derrière la cravate.
Bon, c’est un peu confus tout ça, je vais tenter de vous expliquer.
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Récemment, j’ai remarqué que, depuis quelques années, je ne payais jamais mes consommations quand je rejoignais certains de mes amis, aux terrasses des cafés de South Pigalle. Des consommations qui sont, bien souvent, à base de houblon fermenté, de la bière donc. C’est heureux, certes, mais assez étrange.
Après avoir effectué un travail d’enquête personnel, avoir fouillé dans mes souvenirs et être remonté à la source de tout, je peux affirmer, sans avoir peur de me tromper, que je connais la raison de cette anomalie de comptoir.
Il s’avère que j’ai développé au fil du temps, qui a passé trop vite vous avez bien raison, un humour certain, basé sur l’ironie et l’autodérision dont certains apprécient le piquant, et je les en remercie. C’est le travail d’une vie qui m’a valu, entre autres tracas, plusieurs exclusions des salles de classe de certains de mes professeurs de lycée à qui je fais un coucou chaleureux et bienveillant (oui j’ai beaucoup travaillé sur moi) et autres conséquences que je ne développerai pas aujourd’hui.
Cet humour, ce panache dans l’anecdote prend toute sa dimension, il déploie ses ailes de géant, pour parler comme Baudelaire, qui, à ce qu’on m’a dit, n’était pas le dernier pour la rigolade, lorsque j’atteins un léger état d’ivresse qui a été mesuré scientifiquement par mes amis, égal à l’ingestion d’une pinte et demie. C’est à ce moment là précis que je surfe sur les sommets et que mes anecdotes, je me raconte beaucoup, trop selon Celle que j’accompagne, et autres bons mots atteignent leur niveau optimal. L’acmé de mon autobiographique logorrhée pourrait dire d’autres de mes amis, des psychanalystes de comptoir ceux-là.
Il faut savoir, enfin « il faut » est une expression, je suis persuadé que vous pouvez vivre sans, il peut être intéressant donc de savoir que j’ai une facilité à la discussion amicale de terrasse qui me vient d’une tradition familiale dont mon géniteur, surnommé le Baron Chat pour tout vous dire, était le forgeron. C’est lui qui, avec ses amis de la Comté des années du Général, a aiguisé cette pratique comme un art et me l’a transmise, sans cérémonie, ni tambour, ni trompette, dans mes années adolescentes, sous Mit’rand Ier. Et je lui ai fait honneur, je crois qu’on peut le dire, parce que, depuis cette époque bénie de la gauche humaniste et bienveillante aux commandes de la France, je n’ai jamais manqué un rendez-vous en terrasse. Tous les amis qu’il me reste peuvent en témoigner.
Cette pratique, que je n’irai pas jusqu’à qualifier de sportive, comprend plusieurs catégories et sous-catégories bien connues du public des bistrots et autres estaminets. L’analyse géopolitique étant la discipline reine avec ses incontournables envolées se terminant bien souvent par une remarque du type : « ils ne sont pas comme nous ». Le commentaire sportif arrive deuxième sur le podium bien évidemment – « Pourquoi ne se bouge-t-il pas au prix où il est payé ? »–, un passage obligé si le sujet est le football, ce qui est vrai dans 87 % des cas, selon les chiffres officiels d’un patron de bar de ma connaissance. Mais la sous-catégorie « autobiographique, histoire personnelle et hagiographie » ne doit pas être ignorée. Il y a toujours certains pratiquants, dont le plus célèbre fut Marcel Proust, un féru de terrasse qui aurait adoré une bonne IPA j’en suis persuadé, qui aiment à régaler l’assemblée de leurs plus belles aventures.
N’importe quel addictologue reconverti en juge, ou l’inverse, me pointerait du doigt vengeur de la justice aveugle, c’est marrant les mots, comme fournisseur quasi exclusif de mes amis, un horrible dealer qui les tient accros sans aucune honte. Et je leur livre dès que l’occasion se présente, accompagnée de sa bière artisanale, qui une histoire sur la selle de mon Brompton, qui le récit incroyable et haletant de ma dernière visite chez le coiffeur (et non pas « à la coiffeuse » même si c’est une fille, n’est-ce pas !), voire l’un de mes meilleurs produits en stock qui est une histoire à rallonge sur mes problèmes de plancher à la suite d’un dégât des eaux dans mon appartement (je me souviens d’avoir écrit une chronique sur le sujet, c’est vous dire si c’est passionnant).
Je plaide coupable, monsieur le juge.
Coupable d’avoir encore une fois accepté d’être arrosé de bière pour contenter la soif d’histoires, à peu près vraies, des membres de l’Association des amis anonymes de Monsieur Chatellier.
Je n’ai pas eu le choix, ils avaient commandé la meilleure des IPA d’une micro-brasserie du 19e parisien, une bière que je n’avais pas encore goutée.
Play-scriptum : Pour écrire cette chronique, j’ai passé pas mal de temps avec Talk Talk dans mes oreilles et particulièrement le Life’s What You Make It parce que c’est très beau. Jack White est de retour, son Archbishop Harol Jones est uber-rock et je le verrais sur scène bientôt, chanceux que je suis ! Terminons avec un titre aussi feelgood qu’une mousse au chocolat de mon enfance, c’est le Back On 74 de Jungle que je passe et repasse en boucle pour me rappeler que cinquante belles années ont passé et que bon, c’est quand même chouette de pouvoir encore les compter. Ça vaut bien une petite danse de la joie !!!
Nota aux camarades : cette chronique fait partie de la newsletter Lettre d’un jeune boomer envoyée le 20 décembre 2024. Abonnez-vous pour recevoir la prochaine dans votre boite mail !