Que vaut la vie sans l’aide de ses congénères, l’assistance de ses pairs ? C’est le sous-texte de cette nouvelle chronique qui vous parle d’humanité, de main tendue et de coup de pouce pour s’en sortir… nécessaires pour tous les boomers affrontant un monde qui a perdu depuis bien longtemps les ors et les lustres de cette époque bénie que fut celle des Pompidou et Giscard d’Estaing.
« – Bonjour, je m’appelle Virginie et je suis une boomer.
– Bonjour Virginie », répondit l’assistance d’une seule et bienveillante voix.
Nous étions tous réunis dans la salle que je louais, dont je ne peux vous donner l’emplacement pour d’évidentes raisons de sécurité. Faire partie des Boomers anonymes était devenu un acte de rébellion, il nous fallait pratiquer cachés les étapes de déboomerisation, indispensables si nous ne voulions pas finir cloués au pilori par Ceux qui nous succèderont. En tant qu’organisateur de ces réunions, je n’osais imaginer ce que me réserveraient comme châtiment les Générations futures. Iraient-Ils jusqu’à me bannir d’Instagram ?
Cinq personnes étaient assises en cercle, se faisant face pour exposer leur peine et verbaliser leurs fautes dans un monde impitoyable avec eux. Des enfants gâtés du baby-boom à qui la vie avait trop fait de cadeaux, on l’avait bien compris.
Virginie était la petite dernière.
Approchant la cinquantaine à petits pas, si lentement qu’on pensait qu’elle avançait à reculons, du haut de son mètre quatre-vingt, elle avait tout de la Parisienne de papier glacé. Une cible parfaite pour les Brigades antiboomer (les « Antibo »), de plus en plus présents dans les rues et les bars de mon Paname.
Mère d’une fille de 18 ans, elle venait de commettre une erreur qui l’avait dévoilée. Une erreur qu’elle aurait pu facilement éviter, eusse-t-elle été accompagnée par les conseils de notre assemblée. Il n’était pas trop tard pour elle, nous allions devoir l’aider à s’en sortir : c’était la mission principale des Boomers anonymes.

par Gilles Le Bienveillant Rapaport
Alors que les fêtes de Noël approchaient, un vestige ancestral qu’Ils n’avaient pas encore cramé sur leur bûcher des fantômes du passé (mais je ne miserais pas sur l’âne, le boeuf et les Rois mages si je devais parier en ligne), Lou-Cerise, l’ado citée plus haut, avait demandé un baladeur à cassette comme cadeau. Pour y écouter les albums de Kate Bush et de Metallica, à ce que Virginie en avait compris. Cette demande était si étonnante qu’elle ne put qu’éclater de rire ! De telles choses étranges arrivaient de plus en plus souvent. LC (prononçait « Elle Si ») fut choquée par cette réaction (et là on sait d’expérience que c’est la porte sur l’enfer qui vient de s’ouvrir) et lui demanda de s’expliquer sur le champ.
Sa pauvre mère tomba dans le piège tendu, Ils sont les Maîtres des pièges on le sait tous : elle répondit. Je ne reporterai pas ici ses propos, par crainte de futures poursuites contre mes chroniques, mais je dirai juste qu’elle lâcha des expressions comme « marketing de la nostalgie », ce qui est une première faute mais vénielle, et surtout « appropriation culturelle ». Oui je sais. Là c’est péché mortel. Prononcé sur le ton de la gentille moquerie, de plus. Oui je sais. Impardonnable quand vous parlez à votre ado. Le peloton direct, dos au mur et bandeau sur les yeux, vous avez une dernière déclaration s’il vous plaît…

par Gilles Dolto Rapaport
Un silence de plomb, rapport au peloton suscité sans doute, s’installa alors que Virginie finissait l’horrible récit honteux de cet écart qui allait causer sa perte, elle en était persuadée.
Nous étions habitués à des histoires horribles, certaines impliquant des pères dansant sur une piste de boîte de nuit, des managers expliquant à un Z comment fonctionnait un antivirus, des tantes donnant des conseils de lecture à leur jeune nièce, mais celle-ci entrait d’elle-même dans la catégorie supérieure.
Nous nous tournâmes de concert vers Pedro. Si quelqu’un pouvait aider, c’était bien lui. C’était l’Antéchrist révélé dans la religion de Ceux qui nous succèderont. Une figure à la Jean Moulin pour notre organisation secrète, un qui savait ce qu’était la souffrance, et qui trouvait toujours le moyen de s’en sortir. Contrôleur aérien, il avait un fils, militant écologiste, qui s’était fait tatouer la tête de Jancovici sur la poitrine. Est-il besoin d’en dire plus ?

par Gilles Torquemada Rapaport
« Voici ce que tu vas faire, dit-il. Tu prends ton téléphone et tu lui commandes très vite un burger chez Big Guys, avec frites et sauce cocktail, surtout n’oublie pas la sauce, c’est très important. Puis, tu télécharges l’application Shien, ils adorent ça ! Tu lui prends le max de vêtements avec des logos et groupes des années 1980, cette boite en fabrique à la pelle. Et tu fais livrer tout ça a presto maximo. Ne t’inquiète pas pour les étiquettes indiquant “Proudly Made In RoC by Ouïghours ». Ils s’en moquent. »
Pedro, c’est notre héros à nous, notre Che, une lumière dans le tunnel qui nous conduit vers la sortie.
Virginie prit son smartphone, elle savait qu’elle avait une chance.
🎶 Play-Scriptum : Alors que j’écris cette chronique, j’écoute The Car des Arctic Monkeys, Ur Mum par les magiques Wet Leg et, bien sûr, Babies de Pulp !