« Les jeunes d’aujourd’hui, ils ne savent pas ce que c’est la guerre. C’est pour ça qu’ils sont pas vraiment concernés par ce qu’il se passe en Ukraine. »
C’est ce qu’on peut entendre en ce moment aux terrasses de mon quartier, et ceux qui prononcent ces phrases assez définitives ne sont pas systématiquement sous l’emprise de la magique IPA, enfin pas encore totalement à ce moment là, j’en ai même vu un qui sirotait un Perrier tranche avec une paille en bois, c’est vous dire s’il savait de quoi il parlait.
Je ne contesterai pas totalement le fait que les milléniaux et leur successeurs de la génération Z français semblent plus concernés à batailler pour leur retraite à 60 ans qu’à se mobiliser pour permettre à leurs camarades des bords du Dniepr d’atteindre cet âge-là plutôt que de finir noyés sous les bottes des gamins russes dans ce fleuve-ci.

par Gilles Baudrillard Rapaport
Il faut les comprendre : eux n’ont pas eu l’occasion, je ne dirais pas chance, d’être aux premières loges des histoires de guerre, à défaut de les avoir vécues, ce qui ne concerne plus grand monde dans l’Hexagone que chantait si bien Renaud avant que de perdre sa voix là-bas dans le Sud où que c’est qu’on fait le meilleur des pastagas.
Pour ma génération, marquée d’un X qui nous permet de savoir notre place dans le monde, c’est à dire proche de la sortie, c’était quand même une autre limonade.
Une génération au plus proche de l’Histoire
Les années 1970 succédant chronologiquement aux années 1960, nous avons eu pour beaucoup des géniteurs ayant participé aux opérations de maintien de l’ordre dans ce pays où les jours heureux de la vie en colonies, pas celles que chantaient Pierre Perret, les autres, prirent fin en 1962 arrosés à l’eau d’Evian à ce que j’en ai compris.
Que de soirées au coin de l’âtre j’ai passées à écouter mon paternel, le Baron Chat, me narrer ses aventures dans la région de Sidi Bel Abbès, ce territoire d’outre-Méditerranée si loin mais tellement proche, grâce à ses talents de conteur né : les oliviers, le miel qui coulait à flot, les cèdres…
Cette dernière phrase est sans doute l’un de mes plus gros mensonges de toute l’histoire des chroniques « OK Boomer ». Tellement éloignée de la vérité que je n’arrive pas à la distinguer de là où je me situe en l’écrivant, satellisé dans la zone de la fausse information.

Gilles Sancho Rapaport
Il ne parlait pas pour mieux se faire entendre
Des événements de là-bas, de ces vingt-quatre mois passés loin de chez lui à 18 ans, abandonnant l’ovalie et ses amis pour aller se battre pour… non pas pour mais parce que la France l’avait appelé comme tous ses camarades et quand la France appelait, on répondait dans ses années-là chez ces gens-là ; donc de ces vingt-quatre mois, je n’ai eu qu’une photo de lui en tenue de brousse qui m’accompagne toujours et une super anecdote qui se terminait de ce que je me souviens par : « Ce jour-là on a mangé du chat, et tu le croiras pas ça ressemble beaucoup au lapin. ». Venant du Baron Chat, cela me hante.
Et c’est à peu près tout ce que j’ai eu le droit d’entendre de sa part sur le douloureux sujet de ce qu’il faut bien appeler la guerre d’Algérie parce que oui c’en était une, et douloureuse elle le fut. C’est sans doute pourquoi il n’en a jamais parlé. Parce que la guerre c’est dégueulasse, les gosses y crèvent dedans, comme le chantait le Grand Renaud avant qu’il… enfin vous savez bien.
Un peu plus tard j’ai encore une fois effleuré cette tragédie du bout de mes doigts d’adolescent boutonneux alors que j’allais obtenir/voler un baccalauréat sous Mit’rand II.
Ayant eu le droit à deux heures de cours sur le sujet, je pense qu’on peut dire que j’avais bien tout compris. Mais ces deux heures de cours données par Soeur Ricin (un gentil surnom comme savent les trouver les jeunes gens bien élevés) valaient tous les cours de Sciences Po, que je n’ai pas suivis faute de… sans doute de travail scolaire.

par Gilles Fidel Rapaport
Glissement temporel incontrôlé
Fan de Kennedy et amoureuse, platonique évidemment, du Grand Charles, elle avait sur la fin de sa carrière un peu mélangé tout cela. J’ai souvenir de ce cours où elle racontait la venue de De Gaulle à Alger en 58, avec cette fameuse déclaration historique : « Ich bin ein Algérois ! »
De cette page historique, qui démontre, et démonte aussi ce qui est incroyable, sans coup férir la supériorité de ma génération sur ces pauvres milléniaux quand il est question d’empathie avec les opprimés, et je vous mets au défi de me contredire devant les faits exposés, on peut sans doute en tirer une leçon de vie pour les générations futures : si tu es chanteur à texte, ne plonge pas ta tête dans le pastaga, si tu veux pas y perdre ta voix.
Play-Scriptum : Alors que j’écris cette chronique, j’écoute Peace Frogs des Doors sur la belle bande son du film Licorice Pizza, Three Imaginary Boys de The Cure et En famille de Florent Marchet dont je ne peux que recommander le dernier album tellement c’est bien écrit tout ça.